Mon parcours de guérison – Trouver l’équilibre en dépit du chaos
Avertissement: passages mentionnant des idées suicidaires et tentatives
Personne n’a dit que guérir serait facile, mais on m’a dit que ça vaudrait la peine.
Alors que je me demande comment résumer à peu près 12 ans à me débattre avec des problèmes de santé chroniques dans un petit article de blogue, je me souviens d’une adolescente de 16 ans : effrayée, désorientée, immature et absolument pas prête pour ce qui allait se passer. Je me ramène au jour où le service de gastro-entérologie de l’Hôpital de Montréal pour enfants m’avait appelé pour me donner mon premier rendez-vous – première étape du processus de dépistage des maladies inflammatoires de l’intestin. Ça semble si loin, mais c’est encore tout frais dans ma mémoire.
Comme patiente qui prend du cannabis médical et comme employée d’une clinique dédiée au cannabis médical, j’espère que mon histoire pourra aider quelqu’un à voir un peu de lumière au bout du plus sombre des tunnels. Je vois maintenant mon combat de tous les jours, pour maintenir un équilibre et une bonne santé, comme une bénédiction et une force. Mais pour une adolescente qui commençait tout juste à profiter de la vie, ça me semblait une malédiction et une faiblesse insurmontables.
L’été de mes 16 ans, je suis allée voir mon gynécologue pour mon suivi habituel tous les 6 mois. Même si je prenais la pilule, j’avais constamment des saignements entre mes règles. Étant donné les antécédents de maladie inflammatoire de l’intestin et de syndrome du côlon irritable dans ma famille, et qu’en plus j’avais constamment la diarrhée depuis trois mois, la possibilité que mes problèmes soient causés par une maladie auto-immune devenait inquiétante. Mon médecin avait demandé que je sois vue par le service de gastro-entérologie de l’Hôpital de Montréal pour enfants, où j’ai reçu le diagnostic de la maladie de Crohn.
À peine un mois après mon diagnostic et le début des traitements, j’ai eu une réaction indésirable au médicament que mes médecins m’avaient prescrit pour contrôler ma maladie. Ça m’a laissé avec une pancréatite – c’était le début de mon cauchemar.
À cause de complications répétées, j’ai été hospitalisée pendant des mois; on m’a donné des opioïdes pour contrôler ma douleur, des benzodiazépines contre l’anxiété et des corticostéroïdes contre l’inflammation causée par ma maladie. Au fil du temps, chaque séjour à l’hôpital devenait de plus en plus long et mon temps à la maison, de plus en plus court.
Au bout d’un certain temps, j’ai commencé à remarquer un changement dans mon humeur. Je pensais que j’étais juste un peu déprimée à cause des mauvaises cartes que la vie me donnait. Je me suis dit que c’était normal, avec tout ce que j’avais vécu en peu de temps. Mon adolescence m’était arrachée. J’ai commencé à me sentir prisonnière de mon propre corps. Je suis passée d’adolescente extravertie et sociable à jeune adulte réservée et isolée. J’étais terrifiée.
Peu de temps après avoir appris que la douleur causée par les multiples poussées m’avait laissé des lésions nerveuses chroniques à l’intestin et au pancréas, j’ai commencé à réaliser que ma douleur était à la fois physique et psychologique, ce qui a entrainé une grave anxiété. J’ai commencé à chercher des mécanismes d’adaptation malsains.
Inconsciemment, je me suis tournée vers les opioïdes que les médecins me prescrivaient pour mes douleurs physiques, mais que j’utilisais aussi pour soulager ma souffrance mentale. Je ne voulais rien ressentir, je voulais être engourdie. À partir de là, pas un jour n’est passé sans que j’aie abusé de la morphine, du Dilaudid™, de la codéine, du fentanyl ou de l’Ativan™ pour échapper au fait que j’étais chroniquement malade et déprimée.
J’étais suivie en thérapie cognitivo-comportementale et en thérapie par la parole pendant 6 mois après mon diagnostic de la maladie de Crohn. J’ai appris que je pouvais dire à ma thérapeute ce qu’elle voulait entendre, juste pour que mes spécialistes soient contents et me laissent tranquille. Après chaque séance, je rentrais chez moi et je noyais mes sentiments dans n’importe quel opioïde à ma portée.
Dormir et éviter la réalité était devenu plus facile que de faire face à mes problèmes. J’avais perdu tout ce qui m’était cher : l’école, mes amis, mes partenaires amoureux, ma confiance en moi et, surtout, mon estime de moi. Je ne faisais absolument rien pour m’aider. Je m’étais secrètement fixé l’objectif de faire tout ce que je pouvais pour ne pas voir mon 25e anniversaire. À ce moment-là, j’étais en dépression chronique et j’étais devenue un danger pour moi-même.
Mon cheminement relatif au cannabis a commencé environ deux mois plus tard. Je suis allée à l’urgence comme d’habitude, pensant que j’avais une autre poussée, mais les nausées, les vomissements, l’irritabilité, les sueurs froides et la douleur intense que je ressentais n’étaient pas liés à la maladie; j’étais en sevrage. J’ai encore été hospitalisée, mais cette fois était différente. Les médecins spécialistes de la douleur chronique et mon équipe de soins ont reconnu que j’étais physiquement dépendante au Dilaudid™. Ils ont proposé une période de désintoxication de 20 jours à l’hôpital. À 17 ans, j’avais l’impression d’être traitée comme une grave toxicomane – sans savoir que c’était exactement la voie dans laquelle je m’engageais.
Mon grand frère était venu me visiter à un moment donné et a été consterné par l’approche de l’hôpital. Oui, d’un côté, c’était bien de me sevrer des opioïdes qui me faisaient plus de mal que de bien; mais d’un autre côté, je n’avais rien à court terme pour contrôler ma douleur constante. Il a décidé de m’emmener dehors et a partagé un joint avec moi. Après avoir fumé, ma douleur avait diminué, et j’ai finalement pu manger quelque chose sans vomir. Comme j’étais mineure, la loi empêchait mes médecins de me recommander de prendre du cannabis; par contre, si ça me permettait de prendre moins d’opioïdes, ils n’y étaient pas complètement opposés. Mes médecins ont trouvé des dérivés d’opioïdes moins accoutumants, à utiliser lors des poussées de douleur, mais avec l’aide du cannabis, je n’avais pas besoin d’utiliser d’aussi grandes doses qu’avant.
Après ma résection intestinale à 20 ans, mon médecin de famille avait remarqué que j’étais très déprimée et que j’avais besoin d’aide. Il m’a référée à la meilleure psychiatre que j’aie jamais rencontrée. Pour la première fois depuis mon diagnostic, j’ai eu l’impression de pouvoir faire des progrès. Je sentais que je pouvais m’ouvrir et être vulnérable avec cette docteure. J’avais enfin l’impression que quelqu’un d’autre que mon gastroentérologue me croyait et ne pensait pas que je cherchais juste à me droguer, qu’il y avait plus à ma toxicomanie que le désir d’être gelée. Malgré tout, ça m’a pris 6 mois pour lui laisser voir certaines parties plus cachées et plus sombres de moi.
Pendant l’une de mes nombreuses hospitalisations, j’ai été placée dans l’unité de médecine familiale. C’est le Dr Jean Zigby qui me suivait. Il savait que j’essayais de réduire ma prise d’opioïdes et de les remplacer par du cannabis, mais je n’avais aucun encadrement, peu de connaissances sur le cannabis, et aucune idée de ce qu’il y avait dans ce que je prenais. Le Dr Zigby a changé tout ça et à 22, ans, j’ai fait connaissance avec Santé Cannabis.
À partir de là, j’ai eu la chance d’avoir une équipe de soins structurée, positive et organisée. Rassurée, j’ai pu trouver des approches saines à mettre en pratique et retrouver un certain équilibre dans ma vie. J’ai pu réduire progressivement ma prise d’opioïdes en dehors des moments où j’avais à gérer la douleur causée par les poussées de Crohn. Je n’avais plus besoin de benzodiazépines, même pour des crises d’anxiété graves. Je prenais enfin soin de moi, et les choses commençaient à s’améliorer. La seule chose à laquelle je ne m’attendais pas, c’était les «montagnes russes» de ma vie, qui atteignait sporadiquement des creux terribles.
Après 7 ans à être malade, j’avais vraiment touché le fond; j’avais tenté de faire une overdose et de mettre fin à ma vie plusieurs fois. Il m’a fallu une multitude d’hospitalisations, de problèmes de toxicomanie et six professionnels de la santé mentale différents pour que je prenne au sérieux mes troubles de santé mentale et physique. À l’époque, j’avais une amoureuse qui m’avait donné un ultimatum : c’était les drogues ou elle – et c’est elle que j’ai choisie. Depuis ce temps, je suis toujours dans une démarche de rétablissement.
En raison de l’utilisation à long terme de stéroïdes, j’ai reçu à 23 ans le diagnostic de spondylarthrite ankylosante dans l’articulation sacro-iliaque et d’arthrite rhumatoïde. Je me réveillais constamment avec des articulations enflées et de la douleur dans le bas du dos, les mains et les genoux. Après avoir souffert de douleur constante pendant des mois, j’avais fini par me rendre à l’urgence où on m’avait fait passer des tests sanguins et une radiographie. Et bien sûr, j’avais une nouvelle maladie auto-immune chronique à gérer.
J’étais déjà sobre et en bonne voie de rétablissement à ce moment. Avec mon équipe de soins pour ce qui est du cannabis médical, nous avions trouvé un régime de cannabis riche en THC approprié pour ma douleur neuropathique. Malheureusement, je ne pouvais pas suivre la suggestion de mon équipe de soins d’ajouter à mon traitement une huile de CBD pour contrôler mon inflammation; c’était trop coûteux pour moi, parce que je n’avais pas de revenu à ce moment-là. Je n’ai pas eu d’autre choix que de commencer à prendre du méthotrexate, un médicament antirhumatismal modificateur de la maladie (et traitement contre le cancer à des doses plus élevées), avec des effets secondaires handicapants. Cependant, j’ai pu contrôler mon arthrite avec ce médicament, au point de pouvoir garder un emploi stable.
Finalement, j’ai eu les moyens de me payer de l’huile de CBD, ce qui m’a aidé à contrôler l’inflammation causée par l’arthrite. Ça semblait presque trop beau pour être vrai, mais, en suivant un traitement avec un ratio contrôlé de THC et de CBD, TOUS mes problèmes de santé chroniques étaient maintenant sous contrôle. J’ai pu arrêter 98 % des médicaments qui m’ont été prescrits.
Pourtant, alors que ma vie allait dans la bonne direction, une partie de moi se sentait toujours malheureuse. Il y avait toujours cette petite voix dans ma tête, déterminée à me faire croire que j’allais échouer, me rappelant la promesse que je m’étais faite de ne pas voir mon 25e anniversaire. Je détestais la personne que je voyais chaque jour dans le miroir. La seule émotion que j’étais capable de ressentir était de la haine envers moi-même. Je pensais trop à tout. J’ai développé une anxiété sociale chronique qui m’empêchait de me retrouver dans une foule.
Au lieu des drogues, j’utilisais maintenant les relations amoureuses et mes amis proches pour remplir le vide au fond de moi. J’ai simplement échangé mes dépendances. Je n’avais pas complètement réglé mon traumatisme des 9 dernières années. Je fonctionnais à moitié. J’ai blessé des gens et j’ai été blessée. J’ai toujours eu un complexe de super héros, mais à 24 ans, c’était rendu hors de contrôle. Je pensais pouvoir gérer mon «bagage» une heure par semaine en thérapie sans avoir à appliquer ses outils dans ma vie de tous les jours. Ma vie tournait maintenant autour de ma carrière et de mon partenaire; je vivais pour deux choses et aucune d’entre elles n’était moi. J’ai fini par m’épuiser et j’ai presque fait une rechute.
J’étais à une semaine de mes deux ans d’abstinence, à quatre mois de mon 25e anniversaire et j’étais à nouveau prête à mettre fin à tout. J’ai dû prendre un congé de maladie au travail et j’ai rompu avec ma partenaire de l’époque lorsque tout a recommencé à devenir difficile dans ma vie. J’avais un plan pour mettre fin à mon calvaire et abandonner. Le jour où j’avais prévu faire une surdose et fermer les yeux pour de bon, je ne sais pas trop pourquoi, avec ma main pleine de pilules, la réalité m’a frappé. J’ai réalisé tout le chemin parcouru et j’ai vu ma propre valeur pour la première fois. Au lieu de rechuter, j’ai décidé qu’il était temps d’aller en désintox.
Je me suis enfin concentrée sur moi-même et j’ai pu retourner au travail. J’ai pris ma thérapie au sérieux et j’ai trouvé des nouvelles façons d’apprécier la vie pour laquelle je m’étais tellement débattue. Je me suis entourée de personnes positives et qui me soutenaient. Je me suis sortie de l’obscurité et j’ai pu fêter mon 25e anniversaire en juin 2019.
Je partage mon histoire pour vous montrer que tout est possible – avec du soutien, une équipe de soins qualifiée et un plan de traitement individualisé. La vie peut vous donner les pires cartes imaginables, mais c’est le chemin que vous choisissez de prendre qui vous mènera au succès ou à l’échec. J’ai emprunté les deux chemins, et croyez-moi quand je vous dis qu’une fois que vous avez appris à vous aimer et à vous accepter, vous pouvez surmonter tous les obstacles.
J’ai trouvé l’espoir avant qu’il ne soit trop tard. J’ai trouvé mon but et ma place dans le monde. Peu importe à quel point c’est difficile pour moi, j’arrive toujours à trouver un moyen d’apporter de l’espoir face à l’obstacle à surmonter. J’en ai eu assez de laisser mes maladies, mes troubles et mes épreuves définir ma vie, et j’ai appris à vivre avec.
Quand je me suis concentrée sur moi-même et que j’ai fait face à mon traumatisme, j’ai pu traverser l’obscurité. Je ne pouvais pas trouver la lumière dans mon obscurité, alors je suis devenue la lumière.
– Rebecca Fogel, Coordonnatrice des soins aux patients, Santé Cannabis
Rebecca Fogel a porté de nombreux chapeaux pour Santé Cannabis depuis octobre 2017. Elle travaille en tant que secrétaire médicale, coordinatrice des soins aux patients et défenseure des droits des patient·e·s. Elle anime des événements et des groupes de soutien pour les patient·e·s et se passionne pour la prise de parole en public. Enfin, elle se consacre à offrir aux patient·e·s qui prennent du cannabis médical un endroit où ils et elles peuvent s’exprimer librement et être entendus.
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