Les femmes et la recherche – briser les préjugés
Notez que ce texte est écrit du point de vue d’une femme cisgenre, qui apprend à être plus attentive et plus inclusive des divers genres au-delà de masculin et féminin.
Y a-t-il meilleure occasion pour écrire sur les femmes, la recherche et les préjugés que la Journée internationale des droits des femmes et le Mois de l’histoire des femmes? Je suis une femme qui travaille dans le domaine des STIM (sciences, technologies, ingénierie et médecine), et j’ai une confession à faire : au cours de mes études en sciences, je croyais que la recherche actuelle était réalisée avec équité pour les problèmes de santé masculins et féminins, que toutes les directives médicales tenaient compte des différences liées au sexe, et qu’il était évident que les hommes et les femmes ne fonctionnent pas toujours de la même manière au niveau biologique. Eh bien, ce n’est pas toujours le cas. Et cette prise de conscience a ébranlé ma confiance dans ce que je croyais savoir.
Fait intéressant : « sur les dix médicaments retirés du marché entre 1997 et 2001, huit présentaient des risques pour la santé plus importants pour les femmes que pour les hommes. » (traduction libre; Sugimoto et al, 2019)
Si la recherche au 21e siècle s’est considérablement améliorée et que la situation relative à la santé des femmes n’est pas aussi déplorable que dans les siècles passés, on peut encore s’améliorer. Il faut sensibiliser les gens aux préjugés, aux biais de la recherche concernant les femmes (et les gens dont le genre n’est pas masculin); il faut plus de personnes qui se sentent concernées et curieuses de comprendre réellement ce qui est considéré comme des faits sur la base des preuves actuelles. (Notez que c’est exactement comme ça que la recherche est censée fonctionner : on tire des conclusions à partir d’un ensemble de résultats, jusqu’à ce que de nouveaux résultats infirment, confirment ou nuancent les conclusions.)
Chez Santé Cannabis, un réseau de cliniques qui se consacre à faciliter l’accès aux traitements à base de cannabis médical, à l’éducation liée au cannabis médical et à fournir des soins globaux aux patients, nous sommes très sensibles aux lacunes dans nos connaissances. Notre domaine de recherche privilégié est, bien sûr, le cannabis médical, mais plus de la moitié de notre patientèle est féminine (techniquement, 64,9 % dont le sexe est féminin, tel qu’assigné à la naissance). Plusieurs problèmes de santé pour lesquels cette patientèle consulte notre clinique affectent les femmes de façon plus marquée. En tant qu’équipe propulsée par une majorité de femmes, nous sommes préoccupées par le peu de connaissances que nous avons sur nombre de ces problèmes et sur les différences liées au sexe dans les effets du cannabis.
Le manque d’analyse des données en fonction du sexe
Ayant conscience du manque de connaissances sur le cannabis médical, Santé Cannabis mène une étude observationnelle qui recueille des données de patients pour aider à mieux comprendre ce traitement. Cependant, nous avons réalisé récemment que nous négligions un élément crucial de l’analyse : l’analyse en fonction du sexe. Par le passé, nous rapportions nos résultats en regroupant ceux des hommes et des femmes, ce qui induit un biais important. De plus, le genre des patient·e·s ne faisait pas partie des données collectées, alors que c’est important à la fois pour les soins aux patients et pour la recherche (nous reviendrons sur ce sujet plus loin).
Alors, le cannabis médical fonctionne-t-il de la même manière pour nos patientes que pour nos patients (en se basant sur le sexe qui leur a été assigné à la naissance) ? On ne peut pas s’avancer avec certitude tant qu’on n’a pas analysé la question.
Malheureusement, l’analyse en fonction du sexe est couramment négligée et sous-déclarée dans la recherche actuelle, (Welsh et al, 2017) et les revues scientifiques à haut facteur d’impact (comme Sciences, Nature) semblent contribuer au problème : « Les articles présentant des analyses en fonction du sexe sont plus susceptibles de paraître dans des revues à faible impact que ceux qui n’en présentent pas, même en contrôlant la spécialité de publication ». (traduction libre; Sugimoto et al, 2019)
On ne peut s’empêcher de se demander pourquoi; est-ce un manque de considération pour la différence biologique entre les sexes, ou est-ce que les gens en recherche évitent d’écrire leurs résultats en fonction du sexe parce qu’il n’y a pas de différence significative ? Même s’il n’y a pas de différence en fonction du sexe, on ne peut pas présumer qu’un médicament ou une thérapie fonctionne aussi bien chez les hommes que chez les femmes à moins que ce résultat ne soit publié.
C’est encourageant que les femmes dans la recherche prennent les choses en main et fassent de meilleures analyses; en effet, les articles publiés avec première ou dernière autrice sont plus susceptibles de rapporter des résultats en fonction du sexe. (Sugimoto et al, 2019) Cet article de synthèse récent (Wright et al, 2020) est un excellent exemple avec une section bien documentée discutant des différences entre les sexes concernant l’anxiété et les cannabinoïdes.
La misogynie dans la recherche
Certaines études peuvent-elles être tellement biaisées qu’elles sont carrément misogynes ?
Selon cet article (Merone et al, 2022), la réponse est oui. D’après leur définition, une étude est misogyne lorsqu’elle utilise la beauté subjective féminine comme indicateur de santé, mais ne mesure pas la santé ou n’a pas d’application pratique médicale.
Pouvez-vous imaginer un article (Vercellini et al, 2013) évaluant l’apparence de patientes atteintes ou non d’endométriose (à l’aide du ratio entre le tour de poitrine et sous les seins) ? Seules des participantes caucasiennes étaient sélectionnées dans cette étude, qui excluait les femmes avec un ou des enfants, des défauts physiques acquis (comme des cicatrices), des piercings visibles, des tatouages, un appareil dentaire ou les cheveux teints ! L’article a été rétracté en 2020, sept ans après sa publication. (The Guardian)
On peut également s’interroger sur l’utilité de certaines études, comme celle-ci (Pietruski et al, 2019) sur la beauté et la symétrie des seins, qui était déterminée par l’endroit où le regard des observateur·trice·s passait le plus de temps. Les auteurs « ne savent pas comment les paramètres du trajet du regard se traduisent sur l’évaluation subjective de la beauté des seins » (traduction libre).
Certaines hypothèses sont choquantes ; cette étude (Gray and Boothroyd, 2012) partait de l’hypothèse que la féminité, la beauté et l’humeur positive de jeunes femmes se traduiraient par moins de problèmes de santé mineurs (rhume, problèmes d’estomac, infections). Les auteur·trice·s ont présumé que les éléments du visage indiquent la qualité des partenaires de reproduction. En ce qui a trait à la santé, les femmes devaient rapporter leurs problèmes de santé passés, ce qui est sujet à un biais de rappel, et on note que le statut socio-économique n’a pas été recueilli en tant que variable confondante potentielle.
La misogynie dans les domaines de la recherche et de la médecine a un impact énorme sur la santé des femmes ; certaines d’entre elles ont fait l’expérience de professionnels de la santé qui ont ignoré leurs problèmes de santé ou leurs douleurs. Une cardiologue, la Dre Bernadette Healy, a trouvé un terme pour ce préjugé tenace : le syndrome de Yentl. Dans le contexte médical, ça veut dire que pour qu’une femme soit prise au sérieux à propos de sa maladie, elle doit prouver qu’elle est aussi malade qu’un homme le serait. Ce syndrome, ainsi que ce qu’on ignore encore sur les problèmes de santé des femmes, retarde les tests et les traitements dont les patientes ont besoin. (Mertz, 2011)
Le bon côté des choses, c’est que la misogynie flagrante n’est pas systématique dans la recherche, et les exemples précédents nous rappellent de rester attentifs et attentives aux préjugés envers les femmes. Il faut également célébrer la bonne recherche effectuée pour les femmes, comme ces publications qui font progresser nos connaissances relatives à l’impact du cycle menstruel sur la douleur (Hellström and Anderberg, 2003) (Bartley and Rhudy, 2013).
Au-delà du modèle binaire
Le sexe fait référence aux processus biologiques, physiologiques et génétiques des individus, et il existe plus que le sexe masculin et le sexe féminin.
En recherche, c’est pratique de tout séparer dans des cases théoriques et bien définies; ça l’est moins pour les vrais humains qui veulent savoir comment la recherche les affecte dans la vraie vie et quand les choses ne correspondent pas aux cases théoriques.
Si on considère le sexe comme un spectre, avec le sexe féminin et le sexe masculin aux extrémités opposées, l’espace intermédiaire correspond à l’intersexe. Les personnes intersexes sont nées avec des caractéristiques qui ne correspondent pas aux définitions typiques du sexe masculin ou féminin. (Nations Unies)
Le genre est « l’expérience intérieure et personnelle que chaque personne a de son genre. Il s’agit du sentiment d’être une femme, un homme, les deux, ni l’un ni l’autre, ou d’être à un autre point dans le continuum des genres ». (Justice Canada) Le genre fait également référence aux « rôles, relations, comportements, pouvoir relatif et autres traits » socialement assignés à des genres précis (comme homme et femme). (traduction libre, Welsh et al, 2017)
Le domaine médical actuel considère le sexe masculin (ou l’homme) comme le modèle sur lequel la recherche est effectuée et les directives sont construites. (Merone et al, 2022) Cette vision centrée sur l’homme est problématique, car elle nuit à toutes les personnes qui ne sont pas de sexe masculin ou des hommes, ainsi qu’à toutes les personnes dont on suppose le genre de façon incorrecte.
C’est choquant de réaliser qu’aujourd’hui encore, les personnes de la communauté LGBTQ2+ rencontrent des obstacles pour accéder aux soins de santé, obstacles qui découlent du manque d’éducation des professionnels de la santé, de l’oppression historique, de l’injustice structurelle (comme de ne pas avoir de domicile fixe) – pour ne citer que ceux-là. (Schreiber et al, 2021)
Il est urgent d’accorder plus d’attention aux personnes LGBTQ2+ dans la création de guides cliniques et, surtout, dans la manière dont les soins de santé sont donnés. En tant que clinique médicale, nous voulons être un espace sécuritaire pour toute notre patientèle et nous évaluons en continu la façon dont nous donnons des soins aux patient·e·s. Cependant, la norme de soins actuelle ne s’applique qu’aux personnes binaires (s’identifiant comme homme ou femme), hétérosexuelles et cisgenres (dont le genre correspond au sexe assigné à la naissance).
Une action importante à prendre pour des soins plus inclusifs est d’améliorer la communication avec la patientèle. Un changement simple sur lequel nous travaillons actuellement consiste à demander les pronoms et le nom que chaque patient·e préfère qu’on utilise. Ce genre de changement peut facilement aider à démontrer le respect dû à chacun, car étiqueter quelqu’un de façon erronée sur la base de suppositions peut être blessant. Il existe également d’autres changements simples et peu compliqués que toute clinique peut mettre en œuvre pour être plus inclusive.
Chez Santé Cannabis, nous ne sommes pas parfaits, mais nous travaillons dur pour toujours nous améliorer. Dans le cadre de notre mission de défense des droits des patients, nous faisons de la sensibilisation sur les lacunes de la recherche qui affectent la sécurité et les soins donnés aux patient·e·s, incluant les lacunes concernant les problèmes de santé qui affectent plus les femmes. Dans le cadre de notre travail de recherche, nous nous engageons à mieux collecter et analyser les données, et à faire part des analyses sur les données liées au sexe et au genre. Dans le cadre de notre dévouement à offrir les meilleurs soins à notre patientèle, nous avons créé un comité de la diversité et de l’inclusion et avons commencé à prendre des mesures concrètes pour rendre l’espace plus accueillant. Nous espérons que notre déclaration sur la diversité et l’inclusion traduit bien notre intention :
Chez Santé Cannabis, notre communauté est composée de patient·e·s, de personnel et de partenaires. Nous honorons la diversité en créant un espace sécuritaire pour que chaque personne puisse y partager ses expériences de vie. Nous accueillons tout le monde et écoutons les différentes opinions, croyances et idées. Nous nous engageons à apprendre continuellement ce que signifie être des chef·fe·s de file empathiques et actif·ve·s en matière d’accessibilité.
Autrice: Charlotte Bastin
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