La douleur chronique vue dans une clinique dédiée au cannabis médical – partie 1
La douleur fait partie de la vie, mais pour certaines personnes, la douleur est sans répit. Lorsque la douleur devient chronique, il est difficile de la faire disparaître complètement. Il n’est donc pas surprenant que la douleur chronique soit un énorme problème de santé publique à l’échelle mondiale. Environ un Canadien sur quatre âgé de 15 ans ou plus (soit environ 7,63 millions de personnes) vit avec une douleur chronique, et environ une personne sur cinq aux États-Unis. [1, 2] C’est la principale cause d’invalidité chez les adultes en âge de travailler, ce qui a des répercussions sur les activités de la vie quotidienne et la qualité de vie. [3]
Nous savons à quel point la douleur chronique peut être difficile à gérer, puisque la plupart de nos patients et patientes ont de la douleur chronique ou de la douleur associée à une condition chronique.
LES DONNÉES DU MONDE RÉEL DE SANTÉ CANNABIS Provenant de son étude observationnelle
Les douleurs chroniques sont fréquentes chez la patientèle suivie dans les cliniques de Santé Cannabis : les diagnostics liés à la douleur représentent plus de 50 % de tous les diagnostics (voir la figure 1) et le symptôme de douleur touche 80 % des 1 275 patients et patientes évaluées entre juillet 2020 et mars 2021.
Figure 1 : Proportions des diagnostics primaires de 1 275 patient·e·s suivi·e·s à Santé Cannabis (14 juillet 2020 au 31 mars 2021)
De plus, la douleur chronique est fréquemment associée à une myriade d’autres symptômes fréquents qui sont directement influencés par la douleur, comme les troubles du sommeil, [4, 5] l’anxiété et la dépression, [6, 7] la fatigue, les nausées, etc. Le graphique suivant (figure 2) montre les symptômes secondaires les plus fréquemment rapportés par nos patients et patientes vivant avec la douleur.
Figure 2 : Symptômes secondaires chez 1019 patient·e·s vivant avec la douleur et suivi·e·s à Santé Cannabis (14 juillet 2020 au 31 mars 2021).
LA DOULEUR N’EST PAS UNIFORME
La douleur chronique est définie comme une douleur qui persiste ou réapparaît pendant plus de trois mois.[8] C’est un terme générique pratique, qui regroupe des types de douleur très différents.
La douleur chronique est classée en fonction de sa cause, causée par le cancer ou non cancéreuse, ainsi que selon la manière dont la douleur est produite (son mécanisme) en tant que douleur neuropathique, douleur nociceptive, douleur mixte (incluant les douleurs neuropathique et nociceptive).
Figure 3: Classification de la douleur
Nous voyons beaucoup de conditions avec de la douleur chronique dans nos cliniques Santé Cannabis, de la douleur neuropathique associée à la sclérose en plaques à la douleur cancéreuse, en passant par la fibromyalgie et la lombalgie chronique. Fréquemment, les patients considèrent notre clinique comme dernière option pour soulager leur douleur chronique – et c’est logique, puisqu’il y a plusieurs traitements conventionnels pour traiter la douleur chronique qui sont appuyés par de meilleures preuves scientifiques que ne le sont les traitements à base de cannabinoïdes en ce moment.
PRISE EN CHARGE DE LA DOULEUR CHRONIQUE
La pharmacopée moderne compte plus d’une option pour le traitement de la douleur. Les traitements à base de cannabinoïdes ont leur utilité dans le traitement de la douleur chronique en tant que troisième ou de la quatrième intention, [9] et sont généralement recommandés comme traitement d’appoint. [10, 11] Il y a des traitements pharmacologiques et non pharmacologiques qui peuvent être combinés pour soulager et composer avec la douleur.
Les thérapies non pharmacologiques incluent (sans s’y limiter) la physiothérapie, l’exercice, les thérapies cognitivo-comportementales, l’ergothérapie, la thérapie d’acceptation et d’engagement, la pleine conscience, les massages, l’ostéopathie, etc. [12-15]
En ce qui concerne les traitements pharmacologiques, l’échelle analgésique suivante présente une stratégie simple (figure 4) ; elle est adaptée de l’échelle analgésique de l’Organisation mondiale de la santé, initialement prévue pour la douleur cancéreuse, mais qui s’applique aussi à la douleur chronique non cancéreuse maintenant.[12, 16]
AINS : anti-inflammatoires non stéroïdiens ; ACT : antidépresseurs tricycliques ; IRSN : inhibiteurs de la recapture de la sérotonine et de la norépinéphrine (antidépresseurs).
Figure 3 : Échelle analgésique (adapté de [12, 16])
Lorsqu’un traitement à base de cannabinoïdes est envisagé, il est important que le professionnel de la santé ou la professionnelle de la santé entame une discussion avec la personne sous ses soins dans le cadre d’un processus de décision partagé. [9] En effet, l’efficacité des cannabinoïdes, les effets indésirables potentiels, le coût et la stigmatisation associée doivent être abordés afin que les patients soient correctement informés.
TRAITEMENT MULTIMODAL
Le traitement de la douleur chronique ne se limite pas aux médicaments, qui ne sont souvent pas aussi efficaces lorsqu’utilisés seuls. Les thérapies comportementales et autres thérapies psychologiques jouent un rôle important dans la gestion de la douleur chronique pour aider les patients à composer avec les émotions qui accompagnent la douleur (anxiété, dépression, frustration, etc.).
De plus, notre équipe médicale observe que la douleur chronique survient souvent chez des personnes qui ont subi un traumatisme émotionnel (résultant de violence, d’abus, de négligence, etc.), ce qui souligne la nécessité d’une thérapie multimodale pour aider à soulager la combinaison de douleurs émotionnelle et physique.
Nous pensons aussi que les patients et patientes ayant de la douleur chronique bénéficient davantage d’une approche globale intégrant des changements dans leurs habitudes de vie, car la douleur et l’anxiété (stress) agissent l’une sur l’autre et créent un cercle vicieux. En effet, ceux et celles qui vivent avec de la douleur chronique non soulagée sont souvent piégés dans un cercle vicieux centré sur la douleur, où l’anxiété — et la diminution de l’activité, le déconditionnement et la fatigue — contribue à l’aggravation de leur douleur et à réduire leur qualité de vie (voir la figure 5).
On reconnait généralement que la douleur chronique a un impact sur le sommeil et qu’elle contribue à la dépression; c’est cependant moins bien connu que la douleur persistante est également associée au déclin de la mémoire. [17, 18]
Figure 5 : Vie centrée sur la douleur
Chez Santé Cannabis, le rôle de notre équipe médicale est d’aider les patients et patientes à s’aider eux-mêmes. D’après notre expérience, ceux et celles qui entreprennent un traitement multimodal obtiennent de meilleurs résultats thérapeutiques. Promouvoir la pratique d’activités physiques, fournir des stratégies pour gérer le stress et améliorer le sommeil peut s’avérer extrêmement utile pour guider les patients hors de leur situation centrée sur la douleur (voir la figure 6).
Certains de nos patients ont indiqué qu’ils et elles parvenaient mieux à composer avec la douleur en pratiquant la pleine conscience — un exemple de thérapie simple, peu coûteuse et responsabilisante pour laquelle des informations et du soutien sont offerts à Santé Cannabis par le biais de discussions virtuelles et de réunions de groupes de soutien. Souvent, les patients ne réalisent pas comment il est possible de prendre en main leur propre santé et exercer un certain contrôle sur leur douleur au lieu d’en être les victimes.
« Quand leur fonctionnalité s’améliore, mes patients me disent qu’ils ont l’impression de contrôler leur douleur, que ce n’est plus la douleur qui les contrôle.
Certains disent qu’ils ont l’impression de retrouver leur vie » Dr Michael Dworkind
Figure 6 : Vie centrée sur la fonctionnalité
Enfin, l’environnement dans lequel évolue chaque personne a également un impact direct ou indirect sur les niveaux de douleur (par exemple, par le biais du niveau de stress lié au travail). L’évaluation du contexte et de la situation dans laquelle vivent les patients permet de mieux définir la douleur et les symptômes qui y sont liés, car ils fluctuent en fonction de ce qui se passe dans le corps et dans l’esprit. Par exemple, si le contexte a changé, cela aura probablement une incidence sur l’état de la personne et, par conséquent, sur sa réponse au traitement.
LA DOULEUR ET LA STIGMATISATION
La douleur chronique est incroyablement difficile à traiter, et certains patients ont beaucoup de mal à trouver un traitement pour les aider à gérer leur douleur. De nombreux professionnels de la santé ne reçoivent pas une formation suffisamment approfondie à propos de la douleur chronique, ce qui affecte leur capacité à fournir des recommandations adéquates quant à la gestion de la douleur et constitue une menace sérieuse pour la sécurité des patients. [19, 20]
Les patients et patientes vivant avec la douleur chronique ont besoin d’avoir accès à des traitements multimodaux et ont besoin de pouvoir discuter de façon transparente de leurs attentes relatives aux traitements et aux résultats avec leur professionnels de la santé. À cause des défis et de l’engagement de longue durée que représente le traitement de la douleur, la stigmatisation peut affecter la façon dont est perçue la douleur et les patients qui en souffrent.
Par exemple, il y a stigmatisation lorsque certains professionnels de la santé ne prennent pas au sérieux la fibromyalgie ; c’est effectivement une pathologie difficile à traiter et il existe une croyance selon laquelle elle serait principalement causée par l’état mental des patients.
S’il n’existe aucun marqueur pour diagnostiquer la fibromyalgie, cette maladie existe-t-elle ?
Ceux et celles qui vivent avec la fibromyalgie doivent souvent faire preuve d’une grande persévérance pour obtenir des soins et faire reconnaître leur maladie. Bien que la fibromyalgie reste un diagnostic d’exclusion — ce qui signifie que le patient ou la patiente passe beaucoup de temps avec son médecin et son (ses) spécialiste(s) pour essayer de déterminer la cause de la douleur et d’autres symptômes — de plus en plus de données probantes soutiennent la validité de la fibromyalgie en tant que trouble de la douleur ainsi que l’importance de son traitement.
Il y a aussi une stigmatisation persistante associée à l’expression de la douleur ; les personnes qui expriment fortement leur douleur (avec émotion, en pleurant ou en criant) sont souvent perçues comme si elles exagéraient. Il est indispensable de reconnaître qu’il y a des différences culturelles et de genre dans la communication de la douleur. Si un patient ou une patiente rapporte de la douleur, il est important que les professionnels de la santé restent respectueux, procédant à une évaluation convenable, objective et attentive de la douleur et des symptômes signalés. Ignorer ou minimiser la douleur et les symptômes signalés est contre-productif et n’aide pas les patients à aller mieux.
Chez Santé Cannabis, nous savons ce qu’est la stigmatisation – il n’y a qu’à lire notre nom -, et nous comptons la combattre et faire avancer les choses. Nous souhaitons que nos patients et patientes soient entendues, et nous défendons leurs droits ; nous voulons que les traitements à base de cannabinoïdes soient prescrits et délivrés comme les autres médicaments, et nous réclamons donc un meilleur accès. Nous voulons qu’il y ait plus de recherche sur le cannabis médical, donc nous contribuons à la masse croissante de preuves sur les traitements à base de cannabinoïdes avec notre étude observationnelle en cours. À tous les patients et patientes qui ont accepté de faire partie de cette étude, nous vous remercions pour votre contribution à la science. Nous espérons que notre effort collectif permettra d’améliorer les soins aux patients.
Restez à l’affut pour la deuxième partie de cet article de blog, où nous aborderons les preuves scientifiques actuelles qui supportent les traitements à base de cannabinoïdes pour la gestion de la douleur, et bien plus encore !
Autrice: Charlotte Bastin
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RÉFÉRENCES
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- Dominick, C.H., F.M. Blyth, and M.K. Nicholas, Unpacking the burden: Understanding the relationships between chronic pain and comorbidity in the general population. PAIN, 2012. 153(2): p. 293-304.
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- Treede, R.-D., et al., Chronic pain as a symptom or a disease: the IASP Classification of Chronic Pain for the International Classification of Diseases (ICD-11). PAIN, 2019. 160(1).
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